Armand Scholtès
LA MÉMOIRE DES ORIGINES
En ciblant l'essence des choses, Armand Scholtès parle d'un temps originel, avant que l'homme ne s'essaie à la transformation de la matière. Est-ce une naissance lorraine qui explique cela ? Des vallées meurtries par l'industrie où pèsent autant les nuages que les rejets des laminoirs, des fonderies et des usines. Un tableau bien noir alors que les forêts qui l'ont vu grandir étaient incroyablement vertes. Enfant, cette proximité lui offrira un terrain de jeu fantastique où l'inconscient glanera sa nourriture. Bois, feuilles, lichens, cailloux – si seulement on pouvait cueillir les odeurs – des ingrédients dont il se souviendra adulte pour bâtir une oeuvre.
« On habitait àquelques centaines de mètres d'une forêt très dense, et déjà la forêt m'inspirait, peut-être parce que je trouvais des éléments qui me passionnaient déjà. Le regard que j'ai pu porter sur la forêt pendant des années était particulièrement intéressant pour une compréhension de la nature » se souvient-il. Révélateur de nature, de son extrême puissance et de sa paradoxale fragilité, Armand Scholtès suit une démarche singulière, à l'image d'une grammaire musicale. Les éléments qui la forment, mélodie, rythme, harmonie et voix se muent en formes, couleurs, traits et matériaux. La liberté gestuelle qu'il s'octroie donne alors vie à l'ensemble. Même s'il dit oublier les grands maîtres après les avoir assimilés, son oeuvre puise ses influences dans l'art pariétal, l'art primitif, l'art naïf, l'arte povera, le mouvement support-surfaces ou encore le land art. L'artiste utilise aussi bien des composants recueillis dans la nature que résultat d'une production humaine comme la ficelle, l'étoffe, le tissu peint, le papier, etc. « Tous les matériaux m’intéressent, pourquoi exclure l'un par rapport à l'autre. Je pense qu'ils sont tous intéressants, et cela dépend de ce que l'on veut inscrire dans ce matériau, je n'en écarte aucun » souligne-t-il. Son travail s’inspire d’une nature réelle et imaginaire qu’il retranscrit sur la toile et le papier avec une juste sobriété. Ces espaces, souvent géométriques, ouvrent les sens vers un univers serein délivré de la foule – et comment lui en tenir rigueur ? C'est muni d'un « carnet de promenades » qu'il parcourt les sentiers de sa Lorraine natale, puis ceux de l'arrière pays de Nice où il s'installe avec sa famille en 1986. « C'est quelque chose que je pratique depuis très longtemps et chaque fois que je vais dans la nature j'ai toujours un carnet sur moi, moins maintenant car je fais appel à ma mémoire. Les carnets permettent d'inscrire sur l'instant l'émotion que l'on ressent, et ceux-ci sont très nombreux, quelques centaines. C'est le premier jet, la première émotion, ce qui arrive par le regard que vous portez sur un détail. Après on y travaille, le sujet se développe et on rentre quelquefois le soir – et quel bonheur - avec un carnet plein de croquis». se confie-t-il. Et l'on décèle que cette pratique sert en premier lieu à fixer des formes, l'imaginaire de l'artiste étant ensuite sollicité. En questionnant le végétal et le minéral, Armand Scholtès concilie deux sources d'inspiration a priori antinomiques. La première est sensible au temps qui passe et aux saisons qui lui en font voir de belles, la seconde incarne le temps et cette pierre qui se veut éternelle avec sa promesse de nous recouvrir un jour. Cette oeuvre se révèle donc éminemment poétique, une évidence à laquelle l'artiste souscrit sans délai. « La poésie est constamment présente. Il m'arrive souvent d'emporter un ou deux livres de poésie et de lire même quelques fois à haute voix. Et la musique m'accompagne également, la musique est en moi, c'est du bonheur tout ça ». Quant au fort Napoléon... « J'ai plaisir à exposer dans ce fort parce que j'aime les contraintes et elles sont importantes ici. Ce n'est pas un lieu qui a été conçu pour recevoir des oeuvres. La contrainte est de l'ordre d'une aventure et celle-ci me passionne. Je vais essayer de faire entrer ce qui est dehors, faire rentrer le paysage dans un fort, d'autant plus que ce fort a des particularités, il a des voûtes, des pierres apparentes, des couleurs. Cela va être très sobre parce qu'il faut aussi garder le respect de ce fort et de cette architecture. Je fais toujours en sorte que cela soit une exposition intéressante, en y mettant tout mon coeur, tout mon savoir et toute ma sensibilité et il faut donner au public la possibilité de visiter cela avec étonnement et surprise. Je veux être surpris d'une part moi-même et surprendre également les visiteurs ». Cette élégance dans le fond comme dans la forme devrait trouver écho dans ce lieu où depuis 1821 une espèce d'ascèse semble faire cause commune avec le temps.
Jean-Christophe Vila